Paris, AG du MRAP du 8 octobre Hommage à Jean-Jacques

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N’ayant pu être présente lors de ses obsèques, la Présidence du MRAP s’associe à l’émotion et à la peine de sa famille et de tous ses proches.
Lors de son Assemblée Générale annuelle le 8 décembre 2016, le MRAP a rendu un vibrant hommage à Kirk.

Hommage de Bernadette Hétier

En mémoire de Jean-Jacques Kirkyacharian qui nous a quitté le 29 septembre 2016, dans sa quatre-vingt-neuvième année, à la suite d’une longue maladie et de plusieurs années de douloureuses épreuves :

Au sein du MRAP et de ses instances nationales, nous avons eu le privilège de partager les engagements de Jean-Jacques dès qu’il décida de rejoindre notre mouvement dont il partageait les valeurs et l’engagement de lutte contre le racisme "sous toutes ses formes", tout particulièrement dans la mémoire du terrible génocide dont fut victime son peuple : le peuple arménien.

Alors qu’il vivait à Grenoble, il décida de porter à Genève - au sein des Nations Unies - d’abord à la Commission des Droits de l’Homme puis au sein du nouveau Conseil des Droits de l’Homme qui lui succéda - l’action du MRAP en faveur des peuples colonisés aspirant à l’indépendance. Il arrivait presque systématiquement à l’époque que le MRAP demande à faire une intervention en séance ... pour mieux céder son droit de parole à un représentant de territoires encore en lutte pour leur indépendance, jusqu’au dernier qui accéda en 2002 à la souveraineté au sein des Nations Unies - l’île de Timor-Leste - après s’être libérée de la tutelle indonésienne. Jean-Jacques porta ce combat avec une vigueur et une ténacité sans relâche et sut en permanence : Informer, sensibiliser et motiver el mouvement et ses instances.
Nous ressentons une immense tristesse, mais aussi le sentiment fort d’une fidélité aux engagements que Jean-Jacques a partagé à tout instant avec celles et ceux dont il partageait les valeurs au sein du MRAP.

C’est aussi, bien sûr aujourd’hui - pour nombre d’entre nous- beaucoup d’émotion, parce que Jean-Jacques était notre ami, que nous travaillions ensemble, que nous faisions ensemble partie des instances de débat et de direction du Mouvement, que nous partagions les valeurs et engagements du MRAP tout entier.

Mais, nous ne pouvons ni ne devons oublier qu’il fut un professeur de philosophie, passionné de l’enseignement, qui est une des plus nobles formes de transmission. Je voudrais vous lire pour conclure le témoignage que m’a envoyé hier soir l’une - parmi toutes et tous ses anciens élèves qui ... "l’adoraient" !

Texte de Claire-Marie Hétier, son ancienne élève de philosophie en Khâgne (vers les années 1978-80) qui en tant qu’"ancienne" lui restera très fidèle toutes les longues années qui ont suivi jusqu’à son adieu du 29 septembre.

"Kirk", comme nous disions entre nous, "Kiki" comme l’appelaient ses collègues du lycée Champollion, "Monsieur Kirk" quand nous nous adressions à lui en classe de Khâgne : un professeur d’une culture, d’une énergie et d’une générosité incroyable envers des élèves. Il faisait ses cours avec passion... Et un humour décapant ! Durant trois heures, il pouvait arpenter l’estrade et la classe, la pipe à la main, sans jamais s’asseoir, expliquant, nuançant, digressant... et mimant sans relâche.

Passionnant et passionné, il s’intéressait et nous intéressait à tout, car tout pouvait devenir matière à philosopher dans des cours qui n’avaient rien de formel, passant avec le même enthousiasme de Kant à Hegel puis à Mélanie Klein, s’arrêtant longuement sur Thomas Mann et sa montagne magique, avant de rebondir sur tel concerto de Dvorjak ou tel tableau de Picasso...

Quelqu’un d’intensément vivant, qui avait une jubilation communicative à s’engager dans l’activité réflexive et une imperturbable bonne humeur dans la rencontre. Pas de grisaille avec lui, impossible ! Le sourire, l’œil moqueur, la mèche en bataille scandant ses propos, il était à 100% avec une telle générosité dans l’échange qu’il réveillait un élan du même ordre chez ses élèves. Il lui arrivait de venir faire cours avec son chien berger allemand et rapidement le chien devenait un élément important du cours de philosophie !

Quand il avait corrigé nos dissertations de Khâgneux, nous échangions nos copies pour partager les commentaires hilarants qu’il avait écrit dans les marges, se moquant de nos élucubrations philosophiques à "4.75 francs soldés à 0.50 Frs". Il n’hésitait pas non plus, si le concours blanc tombait un 1er avril, à distribuer de faux sujets de dissertation pour s’amuser de nos réactions, avant de nous distribuer le vrai avec son sourire en coin et son œil pétillant !

Mais, par-dessus tout, au-delà de l’incroyable acuité de son intelligence, c’est la qualité indéfectible de l’attention qu’il portait à l’autre qui en faisait quelqu’un d’aimé et respecté, même par ceux qui ne partageaient pas ses idées. Il avait un véritable don pour éclairer chaque rencontre, réveiller la vie, redonner du sens : tout, sauf l’indifférence !

Témoignage de Pierre Krausz

Il y a des hommes pour qui la fraternité et la tolérance semblent fleurir mieux que chez d’autres.

Nous avons appris, en effet la mort de Jean-Jacques Kirkyacharian - Kirk pour les intimes -.

C’est avec beaucoup de tristesse et d’émotion que je salue la mémoire de mon ami - de notre ami - qui a été pendant longtemps un maillon fondamental de notre mouvement.

Oui Kirk, ton activité était tellement riche qu’il est difficile de te rendre un hommage exhaustif.

Tu étais issu d’une famille de réfugiés arméniens qui dans un premier temps souhaitait s’installer aux Etats-Unis et qui s’est finalement installé en France en raison des quotas américains.

Tout jeune, tu as très vite épousé des idées de gauche comme la diaspora arménienne en a tant données.

Ta sagesse de philosophe t’a amené ensuite à t’investir dans la lutte contre le racisme au sein du MRAP.

Je me souviens bien que lorsqu’au début des années 80 tu m’avais invité à Grenoble pour animer un débat sur l’antisémitisme et l’extrême droite. J’avais été impressionné par ton sens de la fraternité, ta chaleur humaine et ton ouverture d’esprit associés à ta capacité d’écoute.

Les années sont passées. Ton implication au MRAP t’a amené à devenir un des Présidents de notre mouvement.

Tu as également été notre représentant auprès de l’ONU.
Ton ouverture d’esprit a permis que des peuples opprimés puissent avoir la parole dans cette vénérable institution.

Ton antiracisme s’est manifesté sur tous les fronts - depuis l’immigré discriminé aux victimes d’insultes antisémites, en passant par le sort fait aux gens du voyage - tu as toujours été implacable sans la lutte contre l’injustice.

Voilà ces quelques mots. Ton message de fraternité et de tolérance restera au MRAP et nous récolterons partout longtemps les bonnes graines que tu as semées.
Oui Kirk, ton message restera et peut-être verra-t-on un jour un Panthéon bien plus modeste que celui que nous connaissons avec la mention " A tous les Kirk, l’humanité enfin reconnaissante".